Sous les yeux des caméras poussiéreuses,
les fondements d’une ville intelligente
2022 · Enquête
· Vidéo
Au mois de novembre 2021, je reçois dans ma boîte aux lettres le magazine de la ville d’Orléans, Orléans Mag’. En feuilletant les pages, j’apprends que la ville se porte volontaire pour expérimenter l’installation de quatres détecteurs d’anomalies sonores proposés par la startup Sensivic. Les détecteurs sonores, appelés SoundScanner, sont couplés aux caméras 360°, et vont permettre de diriger leurs objectifs vers les sons déclencheurs. Lorsqu’un son “anormal” est reconnu par le dispositif, ce dernier envoie une notification au Centre de Surveillance, les opérateurs décident alors s’il faut envoyer les forces de l’ordre ou non, , c’est que l’on appelle l’audiosurveillance algorithmique (ASA). La municipalité d’Orléans lance un partenariat avec cette entreprise privée, s’essayant aux capteurs intelligents et faisant de ses citoyens des cobayes d’un projet sécuritaire. Pourtant, en 2019, l’installation de capteurs sonores à Saint-Etienne avait fait grand bruit lorsque ces dispositifs avaient été déclarés illégaux par la CNIL, d’autant que ces dispositifs étaient ciblés vers une population spécifique. À cette époque, la municipalité d’Orléans avait déjà réagi favorablement à leur déploiement.
Pour en savoir plus sur ces dispositifs, j’ai sollicité un entretien avec cette entreprise, Sensivic, qui est basée au Lab’O, incubateur de projets de la ville d’Orléans. J’ai été accueillie par la fondatrice, Pascale Demartini qui s’occupe de la stratégie et du développement de l'entreprise. A ses côtés, son mari, Jean Demartini, s’occupe de la conception des produits de l’entreprise. Jean Demartini est ingénieur, Docteur en Sciences Physiques, et a notamment été chercheur au CNRS.
Pascale Demartini m’explique que le SoundScanner apprend à reconnaître des sons spécifiques : bris de verre, ondes de choc, outils à moteurs, voix etc. Son discours concernant le fonctionnement technique du SoundScanner reste en surface : secret de fabrication. Le dispositif est composé d’un modèle dynamique, qui apprend donc en permanence l’ambiance sonore du lieu, y détectant les anomalies sonores, ce qui est inhabituel dans le paysage sonore.
“Ce qu’on imagine dans le futur, ce sont des systèmes prédictifs. La population doit être préservée de l’infime minorité qui est capable de créer des troubles, ou se prémunir des événements qui peuvent créer des problèmes. En disposant de moyens d’études sur le terrain, de caméras, de capteurs sonores, en mesurant la qualité de l’air, les UV, le niveau de déchets dans les poubelles, nous allons finir par réussir à faire en sorte que tout ce qui se passe dans la ville soit mesuré, de manière à créer des modèles et des études statistiques afin de prévoir les risques pour enrayer les phénomènes dissidents.”
L’objectif est donc d’équiper largement de capteurs en tous genres la ville du futur afin que ses citoyens soient comptés, tracés, prédis et éventuellement punis. Ce que l’on observe généralement, que ce soit dans les spots publicitaires des projets de safe city ou dans la vision partagée de ces entreprises, c’est la vision d’une ville fluide, où les citoyens sont toujours en mouvement, ils ne s’arrêtent pas. Personne ne pique-nique, pas de rassemblements, pas d’attroupements. Une ville où il ne se passe plus rien.
Grâce au partage de mes informations avec La Quadrature du Net et le quotidien l’Humanité, mes recherches ont contribué à la lutte contre le déploiement de ce type d’expérimentations de surveillance automatisée puisqu’après le recours déposé par La Quadrature du Net en décembre, le tribunal administratif d’Orléans a confirmé que l’audiosurveillance algorithmique (ASA) est illégale. Cependant, depuis mes dernières visites à Orléans, les capteurs sont toujours en place.
En réécoutant les bandes sons associées aux vidéos, j’ai pu repérer certains mécanismes des caméras. Elles tournent toutes les 30 secondes, ratissant le paysage en 360° environ toutes les 2 minutes. Parfois, la caméra fait des mouvements très subtils; en écoutant les pistes sons, on peut par exemple entendre de loin des crissements de pneus ou de la musique assez forte provenant d’un véhicule, tous accompagnés d’un mouvement de caméra en leur direction.
Photo : Paul de Lanzac
Photo : Paul de Lanzac